mardi 6 juillet 2010

Attaquons les moulins

La culture du golf est remplie de sentences, aphorismes et autres proverbes qui sont nés on ne sait trop comment et qui prospèrent depuis des décennies si ce n'est plus sur toute la planète golfique. Les plus connus se rapportent au swing, et vous avez sûrement entendu dès vos premières pas sur un parcours de la bouche de vos partenaires du jour certains tels que "il ne faut pas bouger la tête de la balle pendant le swing" (heu si, sinon je vais m'envoyer le club dans la tempe si je garde la tête sur la balle) ou "faut garder le bras gauche droit pendant le backswing". D'autres se rapportent aux conditions de jeu, et tout le monde a été frappé du "un arbre c'est 90% d'air" (un filet c'est 98%, et c'est encore plus efficace qu'un arbre pour arrêter une balle), et enfin, les plus savoureux à mon avis touchent au mental. Et celui du jour "il ne faut pas connaitre son score sinon on ne joue pas bien".

Celui là, honnêtement j'y ai adhéré pendant assez longtemps. Parce que j'ai pu en quelques occasions vérifier que si je me réjouissais d'une série de bons trous ou d'un score qui me semblait flatteur je le "payais" au trou suivant. Et des histoires similaires circulent par milliers dans les revues, sur les forums, dans les blogs (je crois bien que j'y ai sacrifié ici même).

Mais analysons un peu cette malédiction divine. Nous pouvons partir de trois situations initiales; le score est mauvais, il est bon, ou il est neutre. Dans l'hypothèse d'un bon score, le savoir provoquerait l'apparition rapide et assurée de bogeys, ou de doubles, ou de triples, choisissez en fonction de votre niveau de jeu. Dans la situation d'un mauvais score, le savoir finirait de nous achever et nous ne serions plus même capable de jouer un seul coup. Curieusement (à première vue), un score neutre n'est pas évoqué dans cette malédiction. Observons un peu ces trois situations. Dans un cas la réaction est d'annuler la situation (le bon score disparait), dans l'autre elle se renforce (le mauvais score s'aggrave). Cette réaction n'est pas symétrique, il est difficile de la rapporter à une cause physique. Toutes les réactions vont dans le sens d'une dégradation de la performance, ça ressemble donc bien à une malédiction, et comme on ne perçoit guère de cause naturelle, n'hésitons plus à parler de malédiction surnaturelle (laissons Dieu de coté pour le moment, il a plus important à s'occuper).

Mais si il y avait une cause naturelle dans tout ça ? Regardons ce qui se passe, dans le cas où le score est mauvais. Vous êtes par exemple 18, et arrivé à la fin du 9 vous avez déjà joué +20. Votre score est donc mauvais (mais ça arrive, je le sais très bien actuellement). On vous annonce votre score à ce moment, et vous jouez votre retour en +23. La carte est minable, vous envisagez de vous mettre au crochet, et surtout vous coulez des regards noirs sur le partenaire qui vous a annoncé les dégâts. Et pourtant; les +20 de l'aller ne sont pas arrivés par hasard. La plus grande probabilité est qu'aujourd'hui vous êtes incapable de jouer deux coups d'affilée, depuis le départ. Pourquoi donc cela aurait-il dû s'arrêter soudainement à la fin du 9. N'était-il pas plus probable que cela continue jusqu'au 18 d'où le +23 du retour ? Est-ce vraiment de connaitre le score qui vous a fait mal jouer les trous du retour ? Vous pourriez me répondre que de connaitre le score vous a empêché de refaire surface. Mais objectivement, quelle était la probabilité que vous vous mettiez soudainement à aligner les birdies ? Pas très élevée au vu de votre incapacité à jouer deux coups d'affilée sur l'aller.

Plus intéressant est le cas où le score est bon. Vous venez d'aligner des pars ou des birdies, vous finissez l'aller en +4. On vous l'annonce et à partir de là plus moyen de dépasser le bogey, vous jouez le retour en +14. A la remise des prix vous envisagez plus sérieusement encore de pendre le partenaire bavard par les testicules, surtout que vous finissez en ZT et que vous avez raté le jambon. Mais objectivement, une fois passé les envies de sévices cruels et prolongés, posons-nous quelques questions; votre niveau de jeu classique, est-il de jouer +4 sur l'aller ? Avez-vous la certitude d'être capable de jouer aussi bien le retour si vous étiez resté dans l'ignorance ? je ne voudrais pas vous enfoncer, mais les statistiques ne sont pas pour vous. Quand on est 18, il est plus probable de jouer +18 que +8, indépendamment de l'ordre des bons et des mauvais trous.

C'est marrant mais le coté divin de l'intervention surnaturelle vient d'en prendre un petit coup derrière les oreilles. C'est dommage parce que nous avons tous besoin d'un peu d'irrationnel pour faire fleurir nos angoisses. Tout compte fait ce score qui nous effraie, c'est quoi ? Matériellement ce nombre n'est que la traduction mathématique de notre habileté du moment. D'où aurait-il des pouvoirs magiques, et extérieurs à notre jeu alors qu'il n'est qu'une conséquence du jeu déjà réalisé, un reflet du passé. Mais voilà, comme tous les individus ici-bas (je simplifie arbitrairement en ne tenant pas compte des trois membres de la station orbitale ainsi que des pilotes d'avion et leurs passager en cours de vol), nous avons un part d'anxiété en nous, qui s'adosse pour notre malheur à une note dépressive, donc l'avenir n'est pas sûr et il pourrait même ne pas être un tapis de roses. Suivant les gens c'est plus ou moins profond, mais je conseille à ceux qui sont actuellement persuadé que leur avenir immédiat est de finir enseveli dans l'effondrement de leur immeuble de continuer à prendre leur traitement. Ou de quitter au plus tôt ce bâtiment promis au dynamitage.

Bref, ce refus du score n'est en définitive que le reflet de notre anxiété sur le parcours. Et c'était assez évident puisqu'en fait toutes les stratégies proposées pour occulter ce chiffre se confondent avec des stratégies d'évitement bien connues en psychologie. Que ce soit le concept du "je découpe le parcours en tronçons de 3 trous" qui permet de diluer l'impact psychologique du score, car on a toutes les chance d'avoir un score situé entre -1 et +2 par rapport à sa référence, jusqu'au "je joue coup après coup sans tenir compte de ce qui s'est passé avant ni de ce qui m'attend" qui n'est à mon sens plus du golf.

Et que dit la psychologie à propos des angoisses ? Qu'elle peuvent se maitriser, qu'elles peuvent s'affronter, qu'on peut parfois les rendre inopérantes, mais pas vraiment qu'il faut les éviter ou nier leur existence. Il existe beaucoup de méthodes pour réaliser ces travaux sur soi, qui s'adaptent chacunes plus ou moins à l'individu qui les emploie. Il est donc difficile de proposer une technique ou une autre. Mais ce que je constate c'est que dans la quasi-totalité des autres sports le score est un élément essentiel du jeu, pendant son déroulement. Y compris dans les sports sans adversaire direct, comme par exemple les sports de lancer ou de cible. Parce que le score a une influence sur le déroulement du jeu.

Et en golf aussi le score a une influence réelle sur le déroulement théorique d'une partie. Quand on a fait une partie médiocre et qu'arrivé au départ du 18 il ne manque qu'un point pour sauver la ZT, il n'est pas très intelligent de prendre tous les risques pour chercher l'eagle qui de toutes façons ne nous apportera pas suffisamment de points pour dépasser la ZT. A l'inverse, s'il faut 3 points pour s'assurer d'une performance, on a tout intérêt à attaquer autant qu'on peut pour chercher le birdie, le bogey comme le triple seront sans conséquences.

Je pense donc qu'il faut apprendre à vivre avec le score pendant la partie de golf, sans le craindre, et l'utiliser. Nous avons assez peu d'aides dans ce jeu pour ne pas refuser celles qui se présentent, même si elles sont cachent.

PS: dimanche dernier j'ai joué un petit scramble caritatif avec 3 partenaires de hasard. J'étais l'index le plus bas. Ça a été long et un peu déprimant. Seulement deux fois en position de birdie (qui ne sont pas rentrés), 5 GIR seulement, 4 bogeys. Mon drive n'était pas au mieux de sa forme alors que j'étais le plus long, mes partenaires souffraient d'un jeu de fer approximatif, seul un putting correct nous a sauvé d'un naufrage collectif. Vu que l'association était la SNSM, c'était une bonne chose.

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